Repasseuses, Edgar Degas, musée d’Orsay.

Degas Repasseuses

Repasseuses, ca 1884-86, huile sur toile, 76 x 81,5 cm, Edgar Degas, musée d’Orsay.

La période 1850-1940 n’a pas seulement été une parenthèse exceptionnelle pour la peinture en France, elle l’a aussi été pour les critiques et historiens de l’art. Gustave Geffroy, fondateur de l’académie Goncourt, est l’un de ces merveilleux critiques. Dans La vie artistique, en 1894, il commente ainsi notre tableau du jour, dix ans à peine après sa réalisation. Serait-il encore possible en 2017 d’être aussi impliqué dans la création contemporaine ?

« Ce n’est pas sur une table à modèles que l’humanité défile. Il faut aller la chercher là où elle est. Degas l’a fait. Il s’est d’abord épris de ce qu’il entrevoyait tout au long de son chemin, des arrangements de personnages groupés dans l’espace étroit des boutiques. Il s’intéressa au labeur jovial des blanchisseuses, qui séjournent, vêtues de blanc, molles et apoplectisées, dans les salles surchauffées par le poêle. Elles absorbent de forts ragoûts arrosés de litres de vins. Elles suivent un régime qui doit fatalement dilater leur estomac et enfler leurs chairs. Tout le monde les a vues ainsi, à travers les carreaux de leurs magasins tout blancs et tout bleus de linge, installées comme des matrones au milieu de leurs ouvrières, débonnaires et flasques, sirotant leur café et surveillant la jeunesse. C’est de cette façon que Degas les a surprises et dessinées, dans une chaleur d’étuve, haletantes sous la camisole, présidant au régulier nettoyage du linge sale de l’humanité. »

Acheté par le comte Isaac de Camondo, ce tableau a ensuite fait partie de son exceptionnelle donation au musée du Louvre en 1911. Ce n’est pas l’État, mais d’abord Camondo et les autres généreux donateurs qui ont permis que les collections d’Orsay soient maintenant aussi riches. Caillebotte a initié le mouvement en 1894, qui s’est poursuivi jusqu’à la donation de Spencer et Marlene Hays en 2016,.

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La peinture au musée d'Orsay

Photo Courtesy The Athenaeum, rocsdad

Degas et la petite danseuse de quatorze ans ! Combien ?

Introduction – Une grande enquête de VisiMuZ.

Si Degas attachait une grande importance à sa petite danseuse, elle suscite tout autant de passion un siècle après la mort de son créateur. L’original en cire a été radiographié en 2010 dans les moindres détails (article de Patricia Failing – voir plus loin) pour vérifier si le troisième plâtre pouvait venir d’une version antérieure de la sculpture. Les dessins préparatoires ont été scrutés afin d’évaluer si l’évolution des proportions était plausible. Les enjeux sont tels que les noms d’oiseaux ont fusé. Lire par exemple Gregory Hedberg en désaccord avec sa confrère française sur les commentaires de William D. Cohan.

Cet article est la suite d’un article publié sur le blog le 4 octobre 2013 sous le titre Multiples ou uniques ? Les répliques des grands artistes – ici. À la fin de ce premier article, nous attirions l’attention sur la différence entre répliques et copies en indiquant que : « Parfois le marché se mêle aussi du processus. Il ne s’agit plus du tout de répliques mais de copies. On peut ainsi sourire de la multiplicité des Petite danseuse de quatorze ans d’Edgar Degas. Seule l’une d’elles est originale. Elle est en cire et à la National Gallery de Washington. Les vingt-neuf autres ne sont que des copies, fondues en 1922 après la mort de l’artiste. Aussi il n’est pas rare de retrouver la Petite Danseuse d’un musée à l’autre (Metropolitan, Orsay, Tate Britain, Philadelphie, Ny Carlsberg Copenhague, etc.) ce qui a grandement contribué à sa célébrité, mais aucune de celles que nous avons pu voir dans les différents musées n’est signalée comme copie. »

Nous faisions une erreur, en tout cas sur la forme, la législation actuelle autorise à parler d’originaux comme nous le verrons ci-après ! Sur le fond, l’enquête a été passionnante et nous révèle non seulement des faits mais tout un état d’esprit.

Nous ne parlerons pas aujourd’hui de la beauté de l’œuvre ou de sa laideur selon les commentateurs, de son originalité exceptionnelle, de ses vêtements, des sous-entendus philosophiques (Pygmalion et Galatée) qui entourent sa création et sont certainement importants dans la fascination qu’elle exerce. Nous ne détaillerons pas plus le scandale qui a suivi la présentation de l’original en cire, présenté sous verre à la 6e exposition impressionniste de 1881.

Pour la suite de l’histoire, nous avons cherché à en savoir plus et cherché les Petite danseuse de quatorze ans dans le monde.

A) Les Sculptures de Degas

Revenons au préalable sur la genèse de leur création.

Septembre 1917. Edgar Degas meurt. Son exécuteur testamentaire Paul Durand-Ruel, accompagné par un autre marchand, Ambroise Vollard, trouve dans son atelier La Petite danseuse de quatorze ans en cire, qui avait été exposée en 1881, mais aussi environ 150 sculptures d’études de danseuses, de chevaux, voire de baigneuses, en cire (et une en plâtre, le Torso). Certaines sont très abimées, d’autres en état de moyen à très bon. 73 statuettes sont ainsi préservées plus la Petite danseuse de quatorze ans. On sait aussi que plusieurs personnes vont intervenir sur ces statuettes pour les remettre en état avant leur moulage tel que le sculpteur Paul-Albert Bartholomé ou Albino Palazzolo, un fondeur d’Hébrard, dont nous reparlerons plus loin.

1918. Les héritiers de Degas décident de faire réaliser par la fonderie A. A. Hébrard à Paris, une édition de 22 exemplaires en bronze de chacune des sculptures en cire. 20 exemplaires seront proposés à la vente (marqués A à T), 1 exemplaire restera dans la famille de l’artiste, 1 exemplaire ira au fondeur (marqués HER) .
Un contrat est signé le 13 mai 1918 qui, entre-autres choses, valide ce nombre d’exemplaires.

1922. Les 74 moules sont prêts et la réalisation des bronzes commence. Pour la Petite Danseuse, qui est de taille plus importante, seuls dix exemplaires sont réalisés entre 1922 et 1927 (numérotés de A à J, mais pas toujours marqués de la lettre correspondante).

1922-31. L’exemplaire A est tout de suite vendu à madame Louisine Havemeyer (il fera l’objet d’un don au Metropolitan Museum of Art à sa mort en 1929) sur les conseils de Mary Cassatt. L’exemplaire B sert de modèle d’exposition et reste à la fonderie, les autres exemplaires sont vendus peu à peu à des particuliers ou des institutions. En 1931, Le Louvre acquiert la dernière pièce fondue, elle porte la lettre P (aujourd’hui à Orsay). Le Louvre acquiert aussi en 1931 la suite complète des soixante-treize sculptures moulées à partir des originaux en cire. Les exemplaires Q à T, évoqués plus loin, ont été réalisés jusqu’en 1931. Ces 25 exemplaires (en ajoutant les exemplaires HER, HER D., et modèle) seront plus loin la série I.
Une question annexe me taraude parfois : si les bronzes sont une œuvre originale, qu’en est-il des vêtements (la jupe ou le tutu, le ruban dans les cheveux) sur lesquels Degas n’a jamais posé la main ? Mais passons sur ce détail.

1932-1937. En dépit de la dépression économique, d’autres amateurs se font connaître auprès de la fonderie Hébrard (reprise alors par la fille d’Adrien, Nelly Hébrard) et la famille Degas. Ensemble, ils décident alors de continuer à exploiter le filon en réalisant d’autres moulages de la Petite danseuse de quatorze ans. Contrairement à la série précédente, ceux-ci ne sont pas identifiés par des lettres (qui correspondraient à une numérotation). Certains exemplaires ont été vendus par la Société des fontes à cires perdues A. A. Hébrard, d’autres directement par madame Jeanne Fèvre, la nièce de Degas. On sait simplement que le nombre d’exemplaires qui ont été coulées dépasse le nombre fixé par le contrat de 1918. En effet, entre 1938 et 1943, huit nouveaux exemplaires de la Petite danseuse de quatorze ans apparaissent sur le marché et viennent enrichir des musées et des collections privées (source : site fondation Bürhle à Zürich + catalogue Pingeot – voir annexe). Plus loin nous parlerons de la série II. Entre 1945 et 1955, cinq d’entre elles vont ensuite changer de main. En 1937, la fonderie Hébrard a fait faillite. Les archives de la Fonderie Hébrard indiquent 567 bronzes de Degas mais Anne Pingeot, dans le catalogue raisonné paru en 2003, dénombre pour les 74 sculptures 1380 bronzes au total.

1937. Après la faillite de la société Hébrard, Albino Palazzolo travaille à la fonderie Valsuani (ce qu’on apprendra beaucoup plus tard).

1949. Nelly Hébrard a racheté aux héritiers Degas les parts qui lui manquaient dans l’héritage Degas . Elle révèle au monde médusé que 69 des 73 cires originales ont survécu, de même que celle de la « Petite danseuse de quatorze ans ». Elle indique aussi que deux plâtres ont été réalisés de la « Petite danseuse de quatorze ans&#nbsp;». Madame Hébrard vend alors (et gagne 400 000 dollars de l’époque) les cires et le Torso de plâtre à M. Paul Mellon, via la galerie new-yorkaise, Knoedler & Company, Inc. Les plâtres vont à la National Gallery de Washington et au Joslyn Art Museum, Omaha (NE)

1955. Albino Palazzolo et Nelly Hébrard vont continuer à réaliser des bronzes à la fonderie Valsuani entre 1955 et 1964, tout en gardant le cachet Hébrard, et sans numérotation aucune (selon les archives Valsuani, cité par Walter F. Maibaum). Plus loin nous parlerons de la Série III.

1976. La galerie Lefevre à Londres expose une série inconnue de 73 bronzes de Degas marqués « modèle ». On apprend alors que les moulages originels n’ont pas été réalisés comme le veut la tradition à partir d’un plâtre mais à partir de ces bronzes d’un tout premier tirage, sur une initiative du fondeur Albino Palazzolo (source Arthur Beale) . Ces bronzes sont vendus en 1977 au Norton Simon Museum à Pasadena (Californie). Au sens de la loi depuis 1967, tous les tirages, en dehors de la série modèle deviendraient alors des surmoulages, donc des reproductions.

2001 Walter F. Maibaum fait une découverte à la fonderie Valsuani. Un troisième plâtre de la Petite danseuse de quatorze ans s’y trouve stocké, ainsi que ceux des 73 autres statuettes. Les plâtres auraient été livrés à la Fonderie Valsuani par Albino Palazzolo en 1955, mais il ne pouvait pas les utiliser pour de nouveaux exemplaires à vendre, afin que les exemplaires n’apparaissent pas comme différents de ceux fondus auparavant.

2004.Le Dr. Gregory Hedberg, directeur de l’Art Européen pour Hirschl &Adler Galleries à New York, publie ses recherches sur le troisième plâtre. Celui-ci aurait été réalisé par Degas lui-même entre 1887 et 1903. Après ce moulage, Degas a retravaillé comme à son habitude sur la statue de cire. Les deux plâtres posthumes de 1921 présentent donc des détails différents de ce troisième plâtre.

La série dite du troisième plâtre est alors, selon Maibaum et Hedberg, issue d’un ensemble réalisé par Paul-Albert Bartholomé. Les différents plâtres ont été créés sur une période de plusieurs années, de 1887 à 1912. Anne Pingeot, conservateur au musée d’Orsay, auteur du catalogue raisonné des sculptures de Degas, conteste la théorie du troisième plâtre.
Citons maintenant Walter F. Maibaum : « Ces bronzes moulés à partir d’autres bronzes sont désignés comme “surmoulages” (moulages réalisés à partir d’anciens moulages). Dans sa description, Arthur Beale note : “Il s’agissait, semble-t-il, de ce qu’on appelle un surmoulage, un bronze de la deuxième génération, non seulement plus petit, mais présentant une diminution des détails sur la surface, à la suite du processus de moulage”. Les surmoulages ne sont pas généralement considérés comme des “bronzes originaux” et, en fait, ils ne sont pas acceptés normalement par le monde de l’art. Les bronzes de Degas moulés par Hébrard figurent parmi les rares exceptions. »

2004-2010. “The Sculpture Degas Project Ltd” (créée par Maibaum, avec Benatov, le patron de Valsuani) a passé un accord avec les héritiers Degas afin de permettre la réalisation de nouveaux bronzes à partir de ces plâtres qui n’avaient pas servi. Cette fois, c’est bien le cachet de la fonderie Valsuani qui a été appliqué et “The Sculpture Degas Project Ltd” gère la vente des bronzes (dans le respect de la loi française indiquent-ils). Ces bronzes, sur plâtre et selon la technique de la cire perdue sont donc 2% plus grands que les bronzes réalisés à partir de la série « modèle » et seraient plus fidèles dans les détails que ceux d’Hébrard. Il a été vendu huit exemplaires de l’exemplaire Valsuani pour 7 M$ l’unité en moyenne (source Artnews). Nous parlerons de la série IV.

2013. Patricia Failing, professeur d’histoire de l’art à l’université de Washington, conteste dans Artnews la théorie du troisième plâtre avec quelques arguments intéressants ici

Conclusion VisiMuZ de la première partie :

Nous ne sommes pas conservateurs de musée, n’avons pas mesuré nous-mêmes les différents exemplaires, et n’avons pas d’avis a priori sur ces controverses. Nous sommes éditeurs de livres sur les beaux-arts, désireux de faire partager à nos lecteurs notre passion pour l’art, de leur montrer les œuvres les plus importantes et les autres. À ce stade nous constatons qu’à tout le moins la situation n’est pas claire.

Partons des faits :
a) Degas ne souhaitait pas qu’on réalise des moulages à partir de ses sculptures de cire. Mary Cassatt a fortement influencé pour que les moulages soient réalisés. Le musée d’Orsay indique dans sa notice du « Tub »  « Cet artiste « distant » qui ne sculpte que pour lui, dit à Thiebault-Sisson en 1897 : « on ne verra jamais ces essais, nul ne s’avisera d’en parler […] D’ici ma mort tout cela se sera détruit de soi-même et cela vaudra mieux pour ma réputation » […] Son chef fondeur, Albino Palazzolo aura le talent de sauvegarder les cires originales en faisant l’édition à partir de copies en cires réalisées d’après des modèles en bronze ».
b) Il existe bien plus de bronzes de la Petite danseuse de quatorze ans que le nombre légal autorisé depuis 1967 (8 exemplaires) ou 1981 (12 exemplaires). Certains de ces exemplaires sont identifiés, d’autres pas. Selon la directive n°94/5/CE du 14 février 1994, à titre exceptionnel (c’est nous qui soulignons), pour les fontes de sculptures antérieures au 1er janvier 1989, la limite de huit exemplaires peut être dépassée.
c) Le texte de 1967 pour reconnaître un moulage comme œuvre originale était le suivant : « les fontes de sculpture à tirage limité à huit exemplaires et contrôlé par l’artiste ou ses ayants droits&160;». Il est clair que l’artiste Degas n’a rien contrôlé du tout et, au niveau des ayant-droits, il n’est pas certain que la probité ait toujours été de mise (voir les fontes Valsuani avec le cachet Hébrard par exemple).

La loi du 20 mai 1920 qui a institué le droit de suite précisait qu’il s’appliquait sur les ventes publiques d’œuvres d’art « à condition que les dites œuvres telles que peintures, sculptures, dessins, soient originales et représentent une création personnelle de l’auteur… ». La loi de 1967 a ajouté la notion de contrôle par les ayant-droits. De manière générale, les professionnels de l’art, institutions comme acteur du marché considèrent-ils comme des bronzes originaux ceux qui ont été tirés en nombre limité – ce nombre devant être « conforme aux usages » – lorsque les exemplaires ont été réalisés avant juin 1967 (citation de François Duret-Robert sur le site de l’association Camille Claudel). En définissant de manière floue, on ouvre la porte à certaines dérives !
d) le nombre d’exemplaires de la Petite danseuse de quatorze ans n’est pas connu avec précision. De plus, six des 20 exemplaires de la série I ne sont pas localisés, et onze ne sont pas marqués. Qui les possède ? Les fontes Valsiani marquées Hébrard et non identifiées (série III) sont-elles distinguables de celles de la série II.
e) en sus : pour tous les bronzes qui ont été réalisés à partir de la série « Modèle » suite à l’initiative d’Albino Palazzolo, il s’agit de surmoulages et le décret du 3 mars 1981 précise : « Tout surmoulage […] doit porter de manière visible et indélébile la mention Reproduction ». Au demeurant ceci ne concerne pas directement la Petite danseuse de quatorze ans qui a été réalisée à partir d’un plâtre. Mais quel est l’exemplaire de la Petite danseuse de quatorze ans du Norton Simon Museum ? (voir plus loin l’annexe)

En synthèse de la première partie ?
Peut-on parler d’œuvres originales quand personne ne sait combien d’œuvres ont été créées ? Peut-on parler de « tirage limité » puisque le tirage était dépendant de la demande et de la somme payée ?
Et si on étend ce concept à la photographie, l’impression à partir d’un ordinateur, etc. tous les musées du monde pourront avoir un « original » de Gerhard Richter, de Marcel Duchamp, etc.

B) Les Bronzes de la Petite danseuse de quatorze ans dans les musées

On a bien compris que la notion d’original dans ce cas était devenu un concept à géométrie variable. Mais cette icône du XIXe siècle draine des foules de spectateurs. Si l’on regarde de près le système mis en place on se doit de distinguer 4 séries (évoquée plus haut et numérotés par nous de I à IV)
– I – Les exemplaires marqués de A à T (complétés des exemplaires HER (x 2), HER D., et modèle), fondus chez Hébrard, et respectant le contrat de départ, qui pourraient correspondre à la notion d’œuvre originale même si la notion de rareté devient toute relative. Ils sont au nombre de 24 au moins.
– II – Les exemplaires non marqués réalisés entre 1932 et 1937 chez Hébrard. On en connaît au moins 8 (voir détail en annexe)
– III – Les exemplaires sauvages réalisés avec le cachet Hébrard à la fonderie Valsuani entre 1955 et 1964 et non identifiés. Nous n’avons pas trouvé d’information fiable à ce sujet.
– IV – Les exemplaires dits du troisième plâtre, réalisés chez Valsuani depuis 2008. Dans ce dernier cas, la législation a été respectée (8 + 4 épreuves d’artiste). Si ce troisième plâtre est un original de Degas, ce qui reste à démontrer plus fermement, on serait en présence de bronzes originaux (même plus de 120 ans après). Un exemplaire de la série IV est en photo ci-après. Original ? ou copie d’après Degas ?

Blog1_Degas_NGA_et_SofiaOriginal en cire de Washington (à gauche) et exemplaire de la série IV (plâtre 3, Valsuani) en exposition à Sofia

Blog1_Degas_NGA_et_SofiaExemplaires A (Metropolitan museum, New York) et R (Ny Carslberg Glyptothek, Copenhague) de la série I

Sans rentrer dans les querelles d’experts et simplement pour savoir devant cette œuvre de quelle série elle provient, on pourrait demander aux institutions, maisons de vente, fondations, etc. que l’information soit transparente afin que le visiteur sache ce qu’il a devant lui. Mais est-ce le cas ?
Pour chacun des musées en annexe ci-dessous, nous avons répertorié les notices des sites Internet et le lien emmène sur la fiche du musée relative à la Petite danseuse de quatorze ans. L’étude n’est pas complète, certains exemplaires sont non localisés, mais elle permet déjà de se faire une idée assez claire des choix des institutions . Nous avons indiqué certains prix de vente quand nous les connaissions, ce qui permet de donner une idée des enjeux autour des identifications.

Conclusions

1) Même si des recouvrements peuvent exister entre les collections privées de la série 1 et celles de la série 2, et en supposant que les non-classés ne sont pas dans la série 3, on trouve a minima 30 bronzes différents (hypothèse basse, retenue par Orsay) et la réalité est certainement plus près ou au-delà de 40. En indiquer moins est peut-être simplement une erreur de relecture, ou une envie de valoriser l’exemplaire acquis. Le musée Bojmans de Rotterdam indique 25, la Tate Gallery 23 ! Les rédacteurs des notices savent-ils additionner ?
2) Les musées sont pour la plupart très flous dans leurs descriptions. Il paraîtrait logique que les musées de la série II indiquent a minima dans leurs descriptions que ces fontes sont postérieures à 1931. Seule la fondation Bührle le fait. Les dates annoncées pour la fonte sont enjolivées artificiellement. Boston indique après 1921, Sainsbury circa 1922, Baltimore 1919-21, Bojmans 1922, la Tate Modern 1922. Dans ce cas, il est beaucoup plus difficile de croire à une simple erreur mais plutôt à l’envie de faire penser au visiteur qu’il est en train de regarder un exemplaire de la série I.
Le même processus de vieillissement artificiel existe pour la série I. Certains musées indiquent une date de 1880-81, en semblant oublier que la fonte a été réalisée plus de 40 ans après (Norton Simon, Fogg Art, Neue Meister Dresde, Ny Carlsberg, São Paulo…). Dans la série I, seuls le Met, Orsay, et le Fogg Art Museum présentent des notices complètes pour les bronzes, ainsi que la National Gallery of Art et le Joslyn Museum du Nebraska.
À la Tate Modern, à Baltimore, à Rotterdam, ou encore à Boston et quelle que soit leur qualité technique, on est en présence de moulages non autorisés, non identifiés, non répertoriés. Cette omission dans la communication est-elle une erreur ou intentionnelle ?
Si la Petite danseuse de quatorze ans reste une icône du monde de l’art, certains des exemplaires perdent un peu de leur aura quand on connaît mieux les histoires qui ont entouré leur genèse et sont pour certaines assez sordides. Mais Mme Hébrard, les héritiers Degas, certains courtiers ou institutions ont eu à un instant donné des intérêts très communs. Ce qu’on appelle un win-win en jargon moderne.

Seul le visiteur peut dans certains des musées se sentir un peu floué. Il n’en reste pas moins que le magnétisme exercé par la Petite danseuse de quatorze ans est tel que même les bronzes de la série IV (dont aucun n’est à ce jour et à notre connaissance encore dans un musée) se vendent en moyenne 7 0000 000 de dollars et qu’ils sont déjà présentés comme des originaux dans les expositions (voir ci-dessous la fondation M.T. Abraham et les expos de Tel-Aviv et Sofia). Monsieur Degas et sa créature fascinent toujours. Galatée n’est plus en ivoire, elle est en bronze.

François Blondel

ANNEXE 1 – Série 1 : Original en cire, moulage en plâtre et 20 numéros A à T.

Nous reprenons ici les conclusions du catalogue raisonné de Anne Pingeot, fusionnées avec des informations issues des différents articles cités plus bas, et les informations issues des musées et/ou des maisons de vente.
Pour chaque musée, on indique ce qui connu des spécialistes (identification d’exemplaire, date de fonte), et ce qui est indiqué sur les notices d’œuvres par le musée.

Lors de la vente du 12 mai 2022, Christie’s a précisé : « Fourteen casts are each stamped with their own letter (A through S, with several examples missing), and eleven are unlettered; one is marked HER.D., and two are marked HER, indicating that they were to be reserved for Degas’s heirs and for the foundry, respectively.» (Lien : ici).

00 – Original en cire – National Gallery of Art, Washinton original en cire, date indiquée 1878-1881 acquisition collection Paul Mellon 1999.
Lien : Fiche détaillée NGA

0 – Plâtre 1 – Joslyn Art Museum, Omaha (NE) – États-Unis, date indiquée : 1881, cast ca. 1920–21 , « Joslyn’s plaster is the model from which the bronzes were cast”
Lien : Fiche détaillée Joslyn

0b – Plâtre 2 – National Gallery of Art Washington Selon la notice d’Orsay : ce moulage plâtre aurait été fait par Hébrard vers 1900.

Modèle – Norton Simon museum, Pasadena (CA, USA) exemplaire et ensemble “modèle”, date indiquée : 1878-81, indication de l’exemplaire : non (alors que cette indication « modèle » est précisée pour les autres sculptures de Degas !!), indication de provenance : achat à Alex Reid & Lefevre, London, 17 January 1977.
Lien : Fiche détaillée Norton Simon puis recherche « degas »

A – Metropolitan Museum of art (NY, USA), exemplaire et ensemble A acquis en 1929, date indiquée : model executed ca 1880, cast 1922, acquisition Bequest of Mrs. H. O. Havemeyer, 1929, exemplaire mentionné : A.
Lien : Fiche détaillée Met, New York.

B – Collection privée, exemplaire B, New York, Sotheby’s, 11 nov.1999 : 110, vendu 11 250 000 USD soit 10.9 Meuros, revendu à New York chez Christie’s le 7 mai 2003 pour $10,311,500 soit 9 000 000 euros et une perte de 1.9 million d’euros en 3 ans. L’exemplaire B est resté en exposition pendant plusieurs années à la fonderie Hébrard, pour la vente des autres exemplaires.

C – Fogg art Museum, Cambridge(MA) – États-Unis, exemplaire C, date indiquée : 19th century, exemplaire C mentionné, acquisition Scott & Fowles, New York, NY, Sold to Winthrop, 1924,
Lien : Fiche détaillée Fogg Art Museum.

D – Sterling and Francine Clark Art Institute, Williamstown, Mass. date indiquée : Modeled 1880-1; cast 1919-21, exemplaire non précisé. Note : La notice du musée d’Orsay indique pour cet exemplaire (Hirshhorn Museum and Sculpture Garden, Washington), sans doute à cause d’un copié-collé malencontreux à partir d’une autre œuvre, car rien n’apparaît sur leur site Internet (https://www.hirshhorn.si.edu)
Lien : Fiche détaillée Clark Institute.

E – Nathan and Marion Smooke; New York, Phillips, 5 nov. 2001 – présenté à la vente avec une estimation de 8 à 12 millions de dollars. Invendu, ravalé à 6 millions, annoncé chez Sotheby’ en 2009 comme Private Collection, France. La vente a dû se faire de gré à gré dans la plus grande discrétion.

F – Neue Meister Galerie, Dresde, Allemagne, Acquisition : acheté à la galerie Alfred Flechtheim, oct 1926, Date indiquée : ca 1880, pas d’autre indication, acquisition non indiquée, exemplaire non identifié.
Lien : Fiche détaillée Neue Meister Dresden.

image : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Degas_T%C3%A4nzerin.jpg

G – Philadelphia Museum of Art , Philadelphie , donné par The Henry P. McIlhenny Collection in memory of Frances P. McIlhenney, 1986, date indiquée : Executed in wax 1878-81; cast in bronze after 1922, several years after Degas’s death, exemplaire non identifié sur le site
Lien : Fiche détaillée Philadelphia Museum of Art.

H – Ex-collection Anne Bass, New York, vendu par Wildenstein & Co. 1985. L’exemplaire n’est pas marqué de la lettre H. Vente Christie’s New York, 12 mai 2022. Estimation de 20 à 30 millions de dollars.

I – Private collection, Francis P. , Paris, 1965

J – Private collection, Sotheby’s , 12 nov 1996

K, L : localisation inconnue

M – Saint Louis Art Museum (SLAM), Saint Louis (MI) , date indiquée : c.1880, cast c.1920 A.A.Hébrard France, exemplaire indiqué de manière peu claire, acquisition 1957 M. Knoedler & Co., New York, NY, USA
Lien : Fiche détaillée Saint-Louis Art Museum. puis recherche avancée artist contains degas

N, O – localisation inconnue

P – Musée d’Orsay, Paris Date indiquée : entre 1921 et 1931, indication exemplaire : gravé à côté : P
Lien : Fiche détaillée musée d’Orsay

Q : localisation inconnue

R – Ny Carlberg Glyptothek, Copenhague (Danemark), exemplaire et ensemble R, La Petite danseuse est indiquée comme étant de 1880-81, sans mention de fonte, ni d’année d’acquisition, “As one of only four museums in the world, the Glyptotek has the complete collection of Degas’ studies of horses, bathing women and ballet dancers, executed in bronze”.
Lien : Fiche détaillée Ny Carlsberg Glyptothek

S – Museu de Arte de São Paulo, São Paulo, Brésil exemplaire et ensemble S, Date indiquée 1880 pas d’autre indication. Note : S est en localisation inconnue selon A .Pingeot qui met l’exemplaire de São Paulo en série 2. Le reste des statues de São Paulo a bien le marquage S selon toutes les sources, mais quid de la Petite danseuse ?
Lien : Fiche détaillée São Paulo

T – Cairo Gazirah Museum, Le Caire ?

HER. Private Collection London, Sotheby’s 27 juin 2000:3 vendu 10 963 400 EUR, présentée à la vente le 1 nov 2011 : lot 18 (Christie’s) avec une estimation de 25 à 35 millions de dollars. Invendue.

HER. Private Collection Sotheby’s 10 mai 1988 : 14.

HER.D (source Pingeot) – Collection Mellon – Virginia Museum of Fine Arts, Richmond ? Que signifie cet exemplaire ?

ANNEXE 2 – SÉRIE 2 : Bronzes de 1932 à 1937

1 – 1930 Private collection 2000

2 – be 1930-37 Private collection, Japan

3 – 1938- Museum of Fine Arts, Boston (MA) – États-Unis non identifié, Acquisition Possibly Jeanne Fèvre (nièce de Degas) Nice,1938, Marie Harriman Gallery, New York; 1938, sold by Harriman Gallery to the MFA for $3400. (Accession Date: December 8, 1938) Date indiquée : original model 1878–81, cast after 1921
Lien : Fiche détaillée MGA Boston

4 – 1938 Sainsbury center for visual arts University of East Anglia, Norwich (180 km au NE de Londres) (UK), date indiquée : cast c. 1922 Bronze, edition unknown.
Lien : Fiche détaillée Sainsbury puis recherche Degas

5 – Baltimore,fonte 1939, achat 1943, Paris, Mlle Jeanne Fèvre; Paris, André Weil; date indiquée original model 1881; this cast 1919-1921,
Lien : Fiche détaillée Baltimore (MD) puis recherche Degas

6 – 1939 – Bojmans van Beuningen Museum, Rotterdam, Pays-Bas non identifié, date indiquée : 1880-1881 (1922) Acquisition : Bruikleen / Loan: Stichting Museum Boijmans Van Beuningen 1939- After his death twenty five bronze casts were made of this sculpture.
Lien : Fiche détaillée Bojmans van Beuningen

7 – 1951 – M.A.São Paulo selon Anne Pingeot que nous avons mis plus haut,ou en lettre S selon d’autres sources. Mais il semble que si le reste de l’ensemble porte la lettre S, la Petite danseuse serait non marquée et devrait se situer ici.

8 – Tate Modern Gallery, Londres, date indiquée : Cast ca 1922, Purchased with assistance from the Art Fund 1952, Puvis de Chavannes, gendre de Nelly Hébrard, puis dans la fiche détaillée, “Indications: Apart from the colouring, which has faded, the present day appearance of the original wax (in the collection of Mr Paul Mellon) is superficially very close to the bronze casts, of which twenty-three are thought to have been made.”

Lien : Fiche détaillée Tate Modern Gallery.

9 – 1954 – Fondation Bührle Zürich date indiquée Original 1880-81, fonte ca 1932-36 + référence au catalogue Pingeot p.267
Lien : Fiche détaillée fondation Bührle + notice texte ici

Blog3_Degas_RotterdamMusée Bojmans van Beuningen – Rotterdam – série II – achat 1939

ANNEXE 3 – Non classés

1) Achat de SIR JOHN MADEJSKI, OBE, DL indiqué comme « fonte 1922 », donc serait peut-être l’un des exemplaires de la série I. Lequel ?
acheté le 3 février 2004, £ 5 045 600 avec les frais soit 7 450 837 EUR
revendu le 03 février 2009 à un collectionneur asiatique £ 13.3 millions soit 14 727 479 EUR

Blog4_Sothebys_DegasEx-propriété de Sir John MADEJSKI – série I ?

Le catalogue de la vente reprend pour l’essentiel la nomenclature Czestochowski/Pingeot sans toutefois indiquer le pedigree de l’exemplaire en vente. Téléchargement ici.

2) MT Abraham Foundation : stock à Genève, prêt pour des expositions (Athènes, Sofia, Tel-Aviv). Le site Internet ne donne pas d’information.
Cette collection vient de la série IV, ainsi qu’il était expliqué lors de l’exposition à Tel-Aviv : The Tel-Aviv Museum of Art, Tel-Aviv, Israel, sur une page du site qui n’existe plus « The exhibition presents, for the first time in Israel, Edgar Degas’ 74 sculptures in bronze. The bronzes were cast from previously unknown lifetime plasters made directly from Degas’ original waxes, with the artist’s knowledge and consent. The plaster of Degas’ most important sculpture, « The Little Dancer, Aged Fourteen », was discovered in 2001, leading to the 2004 discovery of the other 73 plasters”.

3) Wikipedia parle d’un exemplaire à la Hay Hill Gallery in London dont nous n’avons pas trouvé trace.

4) Une série de 100 exemplaires, cette fois identifiée comme d’après Degas, a été, dit-on, créée en 1997 par Waldemar Schroder fonderie Strassacker. M Schroder est-il sculpteur ou est-ce un surmoulage d’un exemplaire existant ? et auquel cas sur lequel ? Les différents exemplaires de cette copie tournent dans les maisons de vente de province depuis plusieurs années (Brides-les-Bains, Agen, Flize, Lyon, Guingamp, Mulhouse…), sont en vente sur ArtPrice, et… çà marche !

Bibliographie très partielle

William D. Cohan, A Controversy over Degas, 01 avril 2010 : http://www.artnews.com/2010/04/01/a-controversy-over-degas/

Patricia Failing : “The Degas Debate: Analyzing the Controversial Plasters”, 6 mai 2013 : http://www.artnews.com/2013/06/05/the-degas-debate/

Xavier Grammond : La notion d’œuvre originale en matière de sculpture :

Walter F. Maibaum : DEGAS: Sculptures Uncovered – History Revealed  :

Richard Kendall : Degas and The Little Dancer.
extrait du catalogue raisonné Czestochowski/Pingeot :

Crédits photographiques
1) NGA Washington, courtesy of National Gallery of Art
2) Sofia Wikimedia commons :
https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Dega_Bronze_Sculptures_01102010_NatArtGallery_Sofia_01.jpg?uselang=fr licence : CC-BY-SA-3.0 usr : Aladjov

3 et 4) Metropolitan et Ny Carlsberg : VisiMuZ
5) Rotterdam https://commons.wikimedia.org/wiki/File:WLANL_-_Ritanila_-_IMG_2558_Danseresje,_Degas.jpg?uselang=fr Licence : CC-PD-Mark Usr : BotMultichillT
6) Sotheby’s vente 03 février 2009

La Danseuse chez le photographe, Edgar Degas

La Danseuse chez le photographe, Edgar Degas

La Danseuse chez le photographe, 1877-78, hst, 65 x 50 cm, Edgar Degas, musée Pouchkine, Moscou.

Devant nous, une danseuse dans le contre-jour, un parquet, un meuble indistinct sur la droite. Des bandes horizontales sur le plancher, verticales sur la fenêtre dessinant un quadrillage virtuel (pour une mise au carreau ?). Au-delà un vitrage faisant penser à un atelier d’artiste, et derrière les toits et murs de Paris. Si l’artiste ne le disait pas dans le titre, rien ne permettrait d’indiquer que nous sommes dans le studio du photographe.

Mais le peintre éprouve le besoin de nous le dire. Était-il dans le studio du photographe, à dessiner pendant que celui-ci travaillait ? Il a forcément terminé ce tableau à son atelier, on imagine assez mal la jeune danseuse poser longtemps dans cette position. L’art doit il être expression de la réalité ? Question vieille comme la peinture elle-même à laquelle les réponses sont multiples : art idéalisé et lisse des néo-classiques contre réalisme d’un Courbet, le « je peins ce que je vois » d’un Manet, l’art comme expression d’une « Idea » intérieure à l’esprit du peintre dès la fin de la Renaissance et le Maniérisme ? Toutes ses réflexions ont été bouleversées avec l’apparition de la photographie en 1822 et sa diffusion après 1850. On sait maintenant le tournant pris par la peinture au XXe siècle.

Degas lui-même est devenu photographe en 1895-96 et ses pastels postérieurs doivent beaucoup à ces monotypes. Mais avant ? On sait que Degas cherchait en peinture à capturer le mouvement, celui des ballets ou des chevaux ! Est-il fasciné par cette invention qui permet de fixer la pose du modèle ?

Retrouvez la vie et les œuvres de Degas dans sa biographie par Paul Jamot, avec plus de 200 reproductions, chez VisiMuZ.

Signalons pour finir qu’Antoine Terrasse (1928-2013), petit-neveu de Pierre Bonnard, a consacré un livre à « Degas et la photographie », Denoel, 1983.

08/06/2016

Photo wikimedia commons Edgar_Germain_Hilaire_Degas_020 licence CC-PD-Mark UsrEloquence

Scène de plage, Edgar Degas

Scène de plage, Edgar Degas

Scène de plage, ca 1875, 47,5 x 82,9 cm, Edgar Degas, National Gallery Londres et galerie Hugh Lane, Dublin.

De Degas (1834-1917), on a souvent une vision partielle, tronquée par ses succès les plus éclatants. Les danseuses, les femmes à leur toilette, occultent certains aspects souvent brillants de son œuvre.

Notre tableau du jour date des débuts de l’aventure impressionniste mais Degas n’a jamais cessé de peindre en atelier et non en plein air. La plage est sans doute à Paris, chez lui. Qui est cette dame ? La mère de la fillette ou plus vraisemblablement sa nurse, vu son habillement. La fillette revient de la mer, elle a enlevé son costume de bain et s’est changée. La proximité de Degas avec Manet à cette époque saute aux yeux. Mais Degas, contrairement à Manet, ne connaît rien au vent, à la mer et aux bateaux (Manet était parti à dix-sept ans, en 1848, comme pilotin sur un navire-école, vers Rio de Janeiro). Sur notre tableau, Degas dessine en arrière-plan deux vapeurs dont la fumée part en sens inverse.

L’accrochage de ce tableau a une particularité. Il est partagé à moitié entre la National Gallery à Londres et la galerie Hugh Lane à Dublin, et il est exposé dans l’un ou l’autre musée par période de 6 ans.

Retrouvez Degas, ses danseuses, ses repasseuses, ses portraits d’amis, ses jockeys, ses modistes, son humour caustique dans sa biographie par Paul Jamot enrichie par VisiMuz : ici.

30/03/2016

Photo wikimedia commons Edgar_Germain_Hilaire_Degas_041 Usr : Eloquence

Femme au tub, Edgar Degas

Femme au tub, Edgar Degas

Femme au tub, ca 1886, pastel sur papier bleu-gris, 69,9 x 69,9 cm, Edgar Degas, Hill-Stead Museum, Farmington (CT)

Mais qui êtes-vous donc monsieur Degas ? En 1886 vous avez 52 ans, vos relations vous décrivent comme un vieux célibataire ronchon, collectionneur de dessins (Ingres, …). Vous exposez votre première série de nus à la huitième et dernière exposition des impressionnistes. Les journalistes évoquent votre « mysoginie cruelle », votre « réalisme brutal ».

Huysmans parlera même de votre « accent particulier de mépris et de haine ». Devant les sarcasmes des critiques et du public, vous vous refermez encore plus et renoncez à exposer. On ne découvrira donc vos sculptures qu’après votre mort, dans votre atelier.
Le tub, cette grande bassine en zinc destinée à la toilette est dans votre atelier et vous ne vous lassez pas de guetter tous les gestes les plus anodins et en même temps les plus intimes de vos modèles qui se lavent devant vous. Votre connaissance de l’anatomie est grande, vous l’avez affinée en regardant les danseuses s’entraîner. Vous êtes un voyeur, et l’assumez puisque vous avez avoué à votre ami Georges Moore, « C’est comme si vous regardiez à travers le trou de la serrure ». Mais vous êtes un prince de la lumière, vous en jouez sur la peau de vos modèles, comme ici avec ces reflets somptueux. Vous opposez les couleurs entre elles. Vous composez vos pastels comme un dessin au crayon et par des jeux de hachures vous créez des contrastes exceptionnels.
Gustave Coquiot, dans la biographie pourtant critique qu’il fit de vous, reste cependant un admirateur définitif de vos nus et nous dit : « C’est parce qu’il n’en pensait pas tant, qu’il a pu dessiner, lui, Degas, de si réjouissantes, de si savoureuses baigneuses. Des batraciennes, plutôt ! Car, assurément, ce sont bien, interprétées par lui, d’alertes “grenouilles”, offrant dos, ventres, levant bras et jambes, avec une merveilleuse souplesse. » Alors mysogine peut-être, mais à la manière d’un Sacha Guitry, « contre les femmes, tout contre ».

Alors ne regardons plus par le trou de la serrure avec un seul tableau mais regardons tout Degas, dans sa monographie chez VisiMuZ, avec plus de 200 tableaux.

25/01/2015

Photo wikimedia commons Edgar_Germain_Hilaire_Degas_032.jpg Usr Eloquence

Femme essuyant son pied, Edgar Degas

Femme essuyant son pied, Edgar Degas

Femme essuyant son pied, 1885-86, pastel sur papier, 50,2 x 54 cm, Edgar Degas, Metropolitan Museum of Art, New York

Francis Carco (1886-1958), écrivain, poète, académicien Goncourt, a écrit entre 1920 et 1924 un ouvrage « Le Nu dans la peinture moderne »[*], tellement oublié aujourd’hui qu’il ne figure même pas dans le répertoire de ses œuvres sur Wikipedia. Et pourtant, ce texte de 162 pages est important pour qui souhaite comprendre l’émulation artistique de la fin du XIXe et du début du XXe siècle.

Mais citons d’abord l’auteur à propos de Degas [pages 55-56] :

« Renoir peint la femme nue au repos …/… Les modèles de Cagnes sont assis ou couchés. Degas, lui, veut interpréter le mouvement. Deux tentatives dominent dans son premier effort : immobiliser un cheval de course. Une autre, d’esprit plus complexe : figer la pose, le geste de la danseuse hors de scène, le repos après la classe, ou la fatigue dans la loge. L’illusion du ballet s’évanouit. La fée est une créature lasse et voici le contraste, entre l’impression légendaire qu’elle a créée et la réalité même où on la découvre. Le mot de réalité amène celui de réalisme. Cependant Degas n’est pas un réaliste. Il ne s’efforce pas à une traduction servile. La sorte d’avilissement, que causent l’hébétude et la posture animale à la seconde de l’effort ou après l’effort, devient le centre d’une illusion plastique et le départ, en même temps que l’aboutissant, d’une arabesque inédite. Saisir le principe du mouvement exact, comme le ferait un « instantané » et le plier à une expression d’art, sans doute ! Mais en inversant et en prenant le moyen pour la fin, on a souvent donné à Degas la psychologie d’un photographe désabusé. Nulle folie qu’une œuvre ne puisse aussi victorieusement démentir !

Après s’être appliqué à l’école des chevaux, des danseuses, des ouvrières, Degas commence, vers 1883, cette étude du nu féminin qui le hantera jusqu’à la mort et le confinera dans cet isolement définitif où on l’a vu se retirer. La dernière exposition impressionniste marque pour lui l’heure de la retraite. Et pourtant, la notoriété n’était pas loin de consacrer l’art de ce peintre, Degas en dédaigne le servage. Aussi va-t-elle choyer l’expression, peut-être moins profondément fouillée, mais plus spontanément typique, de Toulouse-Lautrec.

Degas associe la représentation du nu à l’intimité la plus absolue de la femme. Il ne nous la représente qu’au moment où, même avec une domestique, elle se sait seule, à sa toilette.

Après la toilette, femme se coiffant, Edgar Degas

Après la toilette, femme se coiffant, ca 1885, pastel, 52 x 51 cm, Edgar Degas, musée de l’Ermitage

Pour ce peintre, elle doit abdiquer toute coquetterie. Enjambant sa baignoire, accroupie sur son tub, s’épongeant, s’essuyant à gestes gauches ou pénibles, voûtée, maladroite, poussant laborieusement le peigne dans ses cheveux, laissant pendre au bout du pied une sandale disgracieuse, la nymphe de Cabanel s’est transformée en une ménagère qui vient de quitter sa chemise. Cette personne, attentive aux « soins les plus humiliants[1] », a oublié ou n’a jamais su qu’un corps semblable au sien résume la plus haute ferveur des esthétiques. Et cependant Degas s’acharne sur l’inconscience de son modèle. »

[1]. Jean-Louis Vaudoyer.

Il ne vous a pas échappé que notre nymphe d’hier était au repos et que les deux pastels ci-dessus immortalisent un instantané, un mouvement. Le pastel est un outil plus rapide que la peinture à l’huile et permettait donc à Degas de faire (un peu) moins souffrir ses modèles, tenus de garder la pose dans des positions normalement seulement très provisoires au cours d’un mouvement. Imaginez vous seulement en train de garder cette pose pendant plusieurs heures !

Cette analyse, que certains d’entre vous avaient déjà sans doute faite, met en évidence le talent novateur de Degas à partir des années 1870. Auparavant, et plus classiquement, il dessinait des modèles beaucoup plus statiques, comme dans le dessin ci-dessous.

Étude pour Scènes de guerre au moyen âge, Edgar Degas

Étude pour Scènes de guerre au moyen âge, 1865, crayon sur papier 31,1 x 27,6 cm, Edgar Degas, musée du Louvre, département des Arts graphiques

Une évolution à retrouver dans la monographie de Degas par Paul Jamot chez VisiMuZ

04/12/2015

Photos : 1- VisiMuZ, 2- Courtesy The Athenaeum, rocsdad, 3- Courtesy wikiart.org

[*] Paris, Édition G.Crès, 1924.

Dans la loge, Mary Cassatt

Mary Cassatt –

Dans la loge (Jeune femme au collier de perles dans la loge), 1879, Mary Cassatt, Philadelphia Museum of Art.

Qu’il est parfois difficile de cerner la personnalité de Miss Cassatt (1844-1926) ! Américaine francophile, elle a passé l’essentiel de sa vie en France. Que doit-on retenir ? L’amie, féministe avant l’heure, qui aimait défier Degas sur la technique du dessin ? La courtière et conseillère de la famille Havemeyer qui leur permit de constituer une des plus belles collections possibles d’art français ? La voisine et amie de la tribu Pissarro, qui vivait seule avec sa gouvernante et son personnel de maison en son château du Mesnil-Théribus ?

Le tableau du jour a été présenté à la 4e exposition impressionniste en 1879. Le théâtre parisien était un sujet de choix à l’époque et tous les peintres célèbres aujourd’hui ont représenté loges, corbeilles ou promenoirs. Ce n’est que plus tard, vers 45 ans, que Miss Cassatt, qui n’a pas eu d’enfant, se consacrera surtout aux toiles de mères et enfants. En 1879, il faut chercher ses influences du côté de Manet, de Courbet, de Degas et de Renoir, mais avec une palette plus claire, déjà influencée par le japonisme mis à la mode dans la décennie grâce au voyage de Théodore Duret et Henri Cernuschi au Japon en 1871-72 (voir par exemple ici l’éventail). Alors qu’avant 1874 Mary Cassatt n’a cessé de voyager (elle a fait de nombreux allers-retours entre les États-Unis et la France, a visité les musées d’Espagne et d’Italie), elle a trouvé son port d’attache en 1874 et ne quitte plus Paris et ses environs jusqu’en 1897.

Sa sœur Lydia est très probablement le modèle du tableau du jour. Lydia mourra peu après en 1882. Du point de vue de la composition, on remarque la vue des balcons de l’opéra de Paris au travers du miroir dans le dos de la jeune femme.

Degas disait d’elle : «  Je n’admets pas qu’une femme dessine aussi bien ». Il lui fallut pourtant l’admettre et elle nous le prouve ici encore. Edgar avait transmis à Mary son goût pour le défi de mettre en valeur les teintes de la peau des personnes peintes, lorsqu’elles sont soumises à une lumière artificielle. La lumière électrique est apparue à l’Opéra de Paris en 1875 mais il a d’abord été réservé à la scène. L’éclairage de l’Opéra sera tout électrique à partir de 1881.

Les liens de Cassatt et Degas méritent qu’on s’y attarde, en particulier dans les années autour de 1880. Retrouvez les dans la biographie de Miss Cassatt, chez VisiMuZ !

16/10/2015

Dim 81,3 x 59,7 cm
Photo wikimedia commons Mary_Stevenson_Cassatt,_American_-_Woman_with_a_Pearl_Necklace_in_a_Loge_-_Google_Art_Project Usr DcoetzeeBot

Chevaux de courses devant les tribunes, Edgar Degas

Le Défilé (Chevaux de courses devant les tribunes)

Le Défilé (Chevaux de courses devant les tribunes), be 1862-1866, Edgar Degas, musée d’Orsay, collection Camondo.

Le tableau du jour est l’un des premiers que Degas a consacré aux courses hippiques, loisir d’origine britannique, devenu très en vogue en France dès le Second Empire. L’artiste avait décidé de saisir au vol les mouvements de ses sujets pour mieux nous en révéler la personnalité, l’essence, en l’occurrence ici l’âme des courses hippiques et de ses protagonistes.

Citons Paul Jamot [dont la biographie de Degas est parue et est disponible chez VisiMuZ], qui est le premier à avoir analysé ce thème chez Degas.
« Doué d’un don prodigieux de dessinateur qui saisit les contours et les formes même quand ils nous semblent se dissoudre et nous échapper par leur mobilité, il [Degas] s’empare de ce qui n’avait pas été aperçu avant lui. De là, cet aspect de nouveauté qui a scandalisé les uns et fait extravaguer les autres. Il ne poursuivait, il n’a jamais poursuivi que le vrai.
Il n’y a donc pas de différence essentielle entre ses portraits et ses suites de tableaux consacrés aux courses, au théâtre, à la danse, au café-concert, même aux nus, aux blanchisseuses, aux modistes.
Degas, qui n’était pas plus homme de cheval que noctambule, fut attiré de bonne heure par les spectacles qu’un champ de courses offre à un peintre…/… Parmi ses envois au Salon, le premier qui ne fût ni un portrait ni une peinture d’histoire est un tableau de courses…

À gauche, des tribunes remplies de spectateurs. Sur la piste au premier plan, deux jockeys, vus de dos, tiennent leurs chevaux arrêtés, dans des directions un peu divergentes. Plus loin, un groupe de jockeys plus nombreux venant vers nous. Un cheval s’emballe au galop, retenu avec peine par son cavalier. Les ombres portées s’allongent de droite à gauche. À l’horizon, arbres et cheminées d’usines.  »

Signalons aussi le respect de la perspective classique marqué par les diagonales (le cheval centre se trouve sur le point de fuite), le choix assumé de la modernité par opposition à l’académisme (les tribunes, les cheminées d’usines) et la prééminence de la lumière qui annonce déjà la décennie suivante. Le tableau, pourtant si décrié 45 ans avant, est rentré au Louvre avec la collection Camondo dès 1911, alors que l’artiste était encore vivant.

05/10/2015

Après le bain, Edgar Degas

Après le bain, Edgar Degas

Après le bain, ca 1883, Edgar Degas, collection particulière

L’ouvrage de Paul Jamot consacrée à Degas était lors de sa parution papier déjà une somme (156 pages au format in-quarto, voisin de notre A4). Lors de son enrichissement par VisiMuZ, il est devenu presque une bible sur Degas, sa vie et son œuvre. Les critiques de l’époque, les collectionneurs, ses amis artistes, sont convoqués chaque fois qu’ils commentent Edgar Degas, qui ne laissait personne indifférent.
Voir ici la monographie de Degas, par Paul Jamot, enrichie par VisiMuZ

En 1886, Degas a exposé sa célèbre série de nus. Dès 1894, Gustave Geffroy, le biographe de Monet et de Velázquez écrivait dans sa chronique :

« C’est bien la femme qui est là, mais une certaine femme, sans l’expression du visage, sans le jeu de l’œil, sans le décor de la toilette, la femme réduite à la gesticulation de ses membres, à l’aspect de son corps, la femme considérée en femelle, exprimée dans sa seule animalité, comme s’il s’agissait d’un traité de zoologie réclamant une illustration supérieure.

Le dessinateur n’a pas admis les poses habituelles des modèles, les pieds rassemblés, les mouvements arrondis des bras, les hanches mises en valeur, les torsions aimables de la taille. Inquiet des lignes qu’on ne cherche pas à fixer, qu’on ne cherche pas même à voir, il a voulu peindre la femme qui ne se sait pas regardée, telle qu’on la verrait, caché par un rideau, ou par le trou d’une serrure. Il est parvenu à la fixer, se baissant, se redressant dans son tub, les pieds rougis par l’eau, s’épongeant la nuque, se levant sur ses courtes jambes massives, tendant les bras pour remettre sa chemise, s’essuyant, à genoux, avec une serviette, ou debout, la tête basse et la croupe tendue, ou renversée sur le côté. Il l’a vue, à hauteur du sol, près des marbres encombrés de ciseaux, de brosses, de peignes, de faux cheveux, – et il n’a rien dissimulé de ses allures de grenouille ou de crapaud, du mûrissement de ses seins, de la lourdeur de ses parties basses, des flexions torses de ses jambes, de la longueur de ses bras, des apparitions stupéfiantes des ventres, des genoux et des pieds dans des raccourcis inattendus.

C’est ainsi qu’il a écrit ce navrant et lamentable poème de la chair, en cruel observateur qui a pourtant l’amour de la vie, en artiste épris des grandes lignes qui enveloppent une figure depuis la chevelure jusqu’à l’orteil, en savant qui connaît la place des os, le jeu des muscles, les crispations des nerfs, les marbrures et l’épaisseur de la peau. »

[*] Gustave Geffroy, La vie artistique, H. Floury Éditeur, 1894. Cité par VisiMuZ dans l’ouvrage consacré à Degas par Paul Jamot.

Un point de vue qu’il faut comparer à ceux de Gustave Coquiot et de Paul Jamot pour se faire ensuite sa propre idée.

05/07/2015

Dim 53 x 33 cm, photo Courtesy The Athenaeum, rocsdad

Mary Cassatt, peintre des enfants et des mères

Publication de Mary Cassatt par Achille Ségard (1872-1936), édition enrichie par VisiMuZ.

Tous les détails en cliquant ici.

Mary Cassatt – biographie enrichie – livre d'art numérique

Pour en savoir plus sur les autres ouvrages de la collection de monographies enrichies et leurs avantages pour le lecteur.

Retrouvez aussi Degas, Morisot, Manet, Van Gogh, Renoir, Gauguin, Velázquez,
et leurs biographies enrichies ici.

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Parution de Degas (par Paul Jamot)

Parution de Degas de Paul Jamot (1863-1940), édition enrichie par VisiMuZ.

Tous les détails en cliquant ici.

degas-300

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8 mars – Journée internationale des femmes – Hommage à Suzanne Valadon

Ce 8 mars, les musées ont rendu en général hommage aux femmes en publiant des portraits de femmes par des hommes, ou en glorifiant la maternité, transformant peu ou prou la journée des Droits des femmes en une fête des Mères-bis. Ce n’est pas de cela que nous allons parler aujourd’hui, mais d’une femme libre. Marie-Clémentine Valadon  est arrivée à Paris peu avant la Commune. Elle sera  peintre et mère du peintre Maurice Utrillo, et les amants de cette fille de blanchisseuse s’appelaient Henri de Toulouse-Lautrec ou Erik Satie.
Nous n’allons pas refaire la bio de Suzanne Valadon. Celle de Wikipedia existe, et sa biographie complète par Jeanne Champion, dans laquelle nous avons puisé quelques anecdotes,  est constamment rééditée depuis 1984,  Mais arrêtons-nous sur quelques aspects !
1) Son physique
En classe, elle gribouille souvent des visages et en particulier le sien. Elle a de beaux traits, des yeux bleus, une grande bouche, le menton volontaire, un caractère fort et la gouaille d’une enfant des rues de Montmartre. Elle est remarquée par tous ceux qui la côtoient, camarades de classe d’abord, puis ouvriers de la Butte. Elle est petite (1,54 m), et on lui reproche alors facilement une arrogance qui n’est qu’une affirmation de sa liberté.

2) Maria, la modèle
En 1880, à quinze ans, elle devient brièvement acrobate, au cirque Fernando. C’est là qu’en 1879, Degas a peint Miss Lala au cirque Fernando (National Gallery- Londres). Mais Marie-Clémentine est trop pressée et une mauvaise chute interrompt sa carrière à peine commencée. Elle continue à dessiner et décide de devenir modèle, sous le prénom de Maria, pour subsister. C’est elle qui pose, entortillée dans un drap de lit pour Le Bois sacré cher aux Arts et aux Muses de Puvis de Chavannes,  et qui nous domine quand on monte l’escalier du musée des Beaux-Arts de Lyon.
Elle rencontre bientôt Renoir pour lequel elle pose souvent par exemple dans Danse à la ville ou les Parapluies.

Valadon_Pierre-Auguste_Renoir_Danse_Ville_OrsayValadon_Pierre-Auguste_Renoir_Parapluies_National_Gallery_Londres

Danse à la ville, 1882-83 – Orsay                               Les Parapluies, 1883 – National Gallery

Quand elle fait la connaissance de Toulouse-Lautrec, il lui donne le prénom de Suzanne, à cause des deux vieillards libidineux que sont pour lui Renoir et Puvis qui n’aiment rien tant que la faire poser nue. Toulouse remarque les gribouillis de Maria et, convaincu de son talent, la présente à Degas.

3) La femme-peintre et cougar
1891. Degas est devenu son maître, et pour elle comme pour lui, c’est d’abord la sûreté de son dessin qu’on admire. Toute sa vie, elle peindra des nus (comme le très beau Nu à couverture rayée de 1922 au musée d’Art moderne de la ville de Paris) ou le petit dessin ci-dessous (29 x 20 cm). Il a été exécuté en 1895 et donné plus tard à Berthe Weill, la découvreuse de Picasso en 1900, qui a exposé Suzanne dès les années 1900. Ce dessin a été vendu chez Sotheby’s Londres en 2007.
En 1894, elle est la première femme peintre à être admise à la Société Nationale des Beaux-Arts.

Suzanne_Valladon_Nu_1895_Sothebys
Sans titre, 1895, dédicacé « à Berthe Weill, à son esprit, avec toute mon amitié » – collection privée

Elle vendait beaucoup moins que son fils Maurice Utrillo. Les clients préféraient les rues de Montmartre de celui-ci aux nus de sa mère au dessin plus construit. Comme Balthus (1908-2001) le fera plus tard, elle a beaucoup dessiné ou peint des portraits de jeunes enfants ou adolescents, mais aussi des natures mortes, ou des paysages. Sa nièce Gilberte, assise ci-dessous, a été son modèle pour des portraits moins sages que celui-ci. Notez aussi l’hommage de l’artiste à son maître Degas avec le tableau accroché au mur.

Musée_Beaux-Arts_Lyon_Valadon_MarieCoca Portrait de Marie-Coca et de sa fille Gilberte, 1913 – Musée des Beaux-Arts de Lyon

Suzanne abandonne pour un temps la vie de bohème le temps de son mariage avec le banquier Paul Moussis de 1896 à 1909. Mais le naturel reste le plus fort , et elle le quitte pour un ami de Maurice, André Utter, de 21 ans plus jeune qu’elle et « beau comme un dieu ». C’est lui qui pose dans le Lancement du filet ci–dessous.

Suzanne_Valadon-Le_Lancement_du_filet-Musée_des_beaux-arts_de_Nancy

Le Lancement du filet, 1914, 201 x 301 cm – Musée des Beaux-Arts de Nancy (dépôt du centre Pompidou depuis 1998)

4) La châtelaine profiteuse
André Utter a compris que Maurice Utrillo, son ex-compagnon de bringue et beau-fils, pouvait être leur manne à tous. Maurice est alcoolique et est, après plusieurs cures, sous surveillance permanente. En clair, il est enfermé et condamné à peindre . Ses peintures ont un succès toujours grandissant et il assure le train de vie du trio. André Utter a acheté en 1923 le château de Saint-Bernard dans l’Ain et rien n’est trop beau pour la mère et son mari. Une anecdote en particulier est bien connue. Suzanne va prendre un taxi pour aller de Paris à Saint-Bernard (400 km). Inquiet de leurs dépenses, la galerie Bernheim Jeune achète une maison au nom de Maurice, avenue Junot à Paris, pour cette curieuse famille. Dans le même temps, c’est la reconnaissance officielle pour Suzanne. Dans les années 30, l’Etat lui achète plusieurs œuvres importantes et elle est donc célébrée dans les musées nationaux de son vivant. Elle mourra en 1938 à 73 ans d’une congestion cérébrale.
« Je me suis trouvée, je me suis faite, et j’ai dit, je crois , tout ce que j’avais à dire. » avait-elle déclaré dans son âge mûr.  Pour évoquer Suzanne Valadon, Elisabeth Couturier dans Historia (n° 751 de 2009) a titré La Garçonne avant l’heure qui résume assez bien la vie de Marie-Clémentine Valadon.
Les tableaux de Suzanne Valadon sont visibles en France au centre Pompidou, au musée Utrillo de Sannois (95), mais aussi à Lyon, Nantes, Nancy, Montpellier, Limoges ou encore au musée d’art moderne de la ville de Paris. À l’étranger, le Met (Nu allongé), le musée de San Diego, le SMK de Copenhague (Fleurs de printemps), le musée de Gand, celui de Buenos-Aires, le musée du Petit Palais (fermé et dont la date de réouverture est inconnue) à Genève, par exemple, lui ont offert leurs cimaises.

Crédits photographiques :
1) Danse à la ville Lien http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Pierre-Auguste_Renoir_019.jpg
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2) Les Parapluies Lien : http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Pierre-Auguste_Renoir_122.jpg
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3) Sans titre, 1895 Lien : http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Suzanne_Valladon_,_Nu,_1895.jpg
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4) VisiMuZ
5) Le Lancement du filet Lien : http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Suzanne_Valadon-Le_Lancement_du_filet-Mus%C3%A9e_des_beaux-arts_de_Nancy.jpg User : Ji-Elle licence CC-BY-SA-3.0